En
regagnant son appartement, Séverino réfléchissait, très
très intensément. Il avait, selon une expression qui lui
était chère, la cervelle en ébullition, la tête prête
à éclater tant les idées s’y bousculaient.
L’année prochaine, il n’y aurait pas de cuisine
‘’ Quatre étoiles’’, pas de vins de Pommard, ou
de Pommery. Il n’y aurait pas non plus de serveurs stylés,
ni de vaisselle d’argent, de cristal ou de porcelaine.
Mais il y aurait de la joie, foi de Séverino, même si
l’on était assis par terre, tous en rond, et si l’on
mangeait avec les doigts dans des assiettes en carton ou
des gamelles en fer, comme le fait Jo, son voisin de
palier, quand il met son uniforme et son foulard, quand il
s’en va camper avec ses copains aux pantalons de
velours, aux chemises bleues, jaunes ou rouges, et aux
foulards noués autour du cou.
Jo avait quinze ans, Il était Scout et portait les
insignes de Chef de Patrouille. C’était pour Séverino
le petit frère qu’il n’avait pas, le petit frère qui
était toujours prêt à l’écouter, à l’aider, un
petit frère tout simplement. Et Jo pourrait peut-être
bien aider Séverino à réaliser son rêve. Mais pour
cela, il fallait en parler à son petit ami.
Jo était parti pour quelques jours, en camp d’hiver. Et
quand il rentra, il ne tarda pas à recevoir la visite de
Séverino. Ils avaient tant de choses à se dire, des
conseils à demander, des idées à réaliser. Et la
visite qu’il rendit à Jo fut très très longue. Elle
dura jusqu’au soir, mais se termina à la satisfaction
de l’un et de l’autre. Le sujet de cette visite, de
cette si longue conversation était bien sûr, ‘’
Comment faire pour que le prochain Noël de nos amis’’
(appelons-les comme ça) Django, Jeannot, Bamako, Ali ou
Raimundo soit un Noël, un Noël de joie et d’amitié,
et où chacun serait heureux d’être là ! Comment faire
pour les comblé d’une vraie joie. Comment faire offrir
à tous une joie intense, aussi intense que le serait
celle des footballeurs, pongistes et tennismans si….
Comment ramener le sourire sur les yeux las de Dédé qui
est sans travail, la sérénité sur les épaules usées
de la vieille Marie. Comment effacer la résignation qui
éclate sur les visages de ces anciens détenus, de ces
marginaux, de ces errants qui rôdaient par là.
S’occuper de tant de gens était trop lourd, trop
difficile, pour un cœur de tendresse, même quand ce cœur
est gros comme ça.
Les dés étaient désormais jetés et l’idée fit son
chemin, à tous les échelons de la troupe Scout, à
laquelle appartenait Jo, qui commençait ses activités.
Louveteaux et Jeannettes, Guides, Rangers ou Pionniers,
dirigeants laïques ou religieux, ainsi que les parents
des uns et des autres, chacun s’attela à une partie du
problème. Et Séverino, sollicité de toutes parts par
les uns et les autres, commet plus d’une fois le péché
d’orgueil. Mais Monsieur l’ Aumônier, qui était là
pour coordonner les efforts de tous, mais qui jugeait bon
de ramener à plus de modestie notre jeune ami Séverino.
Il sut trouver les mots qu’il fallait pour que sa fierté
ne soit pas excessive, même s’il était à l’origine
de la vaste action entreprise. Et chaque membre de la
troupe Scoute n’eut pas à faire preuve de beaucoup
d’imagination pour trouver le thème de sa B.A. ( Bonne
Action ) quotidienne.
Ah ! Oui ! Il y en eut des conciliabules, des entretiens,
avec les Scouts de toute la cité forbachoise. Il y en
eut, des entrevues avec les parents de l’un, avec les
relations de l’autre. Toute la population Scoute avait
tenu à répondre ‘’ Présent’’. Et désormais Séverino
dormait tranquille. ‘’ Sa’’ fête de Noël allait
être la plus belle fête de Noël qui soit. |
|