CHAPITRE II
Le repas de Noël
Les dames de bienfaisance du quartier, les membres d’une association de Forbach, avaient décidé de faire quelque chose à l’occasion de Noël en faveur de ces immigrés, de ces chômeurs, de tous ces gens du tiers, voir du quart-monde. La présence parmi les membres de leur comité, des plus grands chefs, des toques les plus réputées de la région avait tout de suite commandé l’action à entreprendre. Eh bien voilà : on allait convier tous ces gens ‘’ à un excellent repas dans un des plus fameux restaurants de la ville. Les plats seraient des plus raffinés, les vins millésimés remplaceraient ‘’le Gros-Rouge’’, on mangerait dans de la vaisselle en porcelaine, et on n’aurait pas un geste à faire pour être servi par les plus stylés des majordomes ; en grande tenue, bien sûr.
Pour une fois ils mangeraient à leur faim, et boiraient à satiété.
Mais, était-ce bien ce qu’il fallait pour satisfaire à la fois Django le Gitan, Jeannot le futur normalien, et Bamako l’Ivoirien, et Ali l’Algérien, et Raimundo l’Andalou. Était-ce bien ce qu’il fallait offrir aux tennismans sans filets, aux pongistes sans tables et aux footballeurs sans ballon.
Beaucoup de nourriture, être servis comme des princes, dans un restaurant rutilant de lumières, était-ce bien ce qu’ils désiraient tous ?
Enfin arriva le moment du pantagruélique repas, dans la nuit de noël. Comme ils semblaient gênés tous ces zonards, dans cette ambiance trop luxueuse peut-être pour eux.
Parmi les invités il y avait Séverino un français d’origine italienne, plus gavroche encore que le héros de Victor Hugo, Et cet observateur de fortune n’avait pas mis ses yeux dans sa poche, ni son cœur au clou ! Et c’est ce cœur gros comme ça qui lui a permis de voir tout de suite ce qui n’allait pas c'est-à-dire que tous s’ennuyaient ferme pendant le repas.
C’est ce cœur-là qui lui avait fait sentir qu’il faut être sur un court pour jouer au tennis, qu’une boîte de conserves n’était pas un ballon de football. Et la table du restaurant malgré sa vaisselle précieuse, ses mets rares et ses vins, plus rares encore n’était pas une table de ping-pong, Le Jeune homme prit alors une résolution, pour le noël de l’année suivante.

Aller au chapitre III

Retour au menu

Chez Manon © 2004