Elle
était là, plantée devant le stand à
jouets, toute petite, émouvante,
la
tête couverte d'un fichu sombre pour se
protéger du vent. Au
cœur de ce visage ridé, buriné par
les ans, une lueur, un regard comme
transfiguré.
Et, sur les lèvres, une
moue d'enfant béat d'admiration. On
avait beau la bousculer, elle restait
là comme fascinée.
La vieille dame
n'existait plus. L'enfant s'éveillait
en elle.
Tout était transformé, on
aurait dit que la coiffe prenait des
couleurs, les pommettes rosissaient, les
yeux s'extasiaient.
Toute cette
métamorphose à cause d'un jouet, d'une
simple petite marionnette
qu'un bateleur
ingénieux articulait à la grande joie
de tous. Moi
aussi, je me suis arrêté, extasié
devant cet irrésistible jeunesse qui
naissait. C'était beau, étrange,
communicatif...
Je regardais
les autres visages et découvrais la
même métamorphose. Tous s'éveillaient
à l'émerveillement d'une enfance
endormie.
Il en faut si peu parfois !
N'est-ce pas un peu comme ça la grâce
de Noël ?
Cette faculté étrange qui
sommeille au fond du cœur et qui vous
appelle à naître encore et en dépit
de tout,
de la conjoncture, des temps
difficiles, des coups durs. Si
seulement pour un temps, pour une nuit,
la nuit prochaine par exemple,
nous
pouvions nous arrêter et pousser la
porte de l'émerveillement. Non
pour retourner en enfance, ni pour se
cacher la vérité, s'arrêter quand
même et croire que tout est possible,
et qu'il est merveilleux de naître
encore, aujourd'hui.
Bien sûr tous les
sapins du monde et toutes les guirlandes
n'ouvriront pas la nuit de l'angoisse ;
celle de nos frères affamés, blessés,
muselés, exécutés...
Bien sûr que la
joie des enfants n'éteindra pas la
colère des humiliés de toute sorte.
Mais si cette nuit-là, de nos mains, chacun
d'entre nous allumait une étoile
pour
celles et ceux qui en manquent et
attendent là, à nos portes ?
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