Je suis
l'or, simulacre étrange de
la vie,
Mode ultime de l'énergie
Que l'homme, prolongeant l'élan
primordial,
Conçut pour insuffler une
âme subalterne
À la matière qu'il
gouverne,
À ses créations de fibre
et de métal.
Je circule parmi les rêves
Et ceux que je touche se lèvent
Matérialisés en fantasques
moissons
D'oeuvres d'art, de maisons,
De vin clair qui chatoie,
D'instruments et de pain, de
bijoux et de soie.
Je suis un rayon de soleil
Qui paraît et métamorphose,
Autour de l'homme, toutes
choses :
Un amas de charbon en un
boudoir vermeil,
Une source chantante en écheveaux
de laine,
Une plaque de bronze en
essaim de phalènes.
Je suis une vibration
Qui répercute au loin
l'effort de la matière.
Une machine impose au fer
des torsions,
La masse tombe et fend la
pierre,
Et par moi, quelque part,
s'allongeront des bras,
Des outils couperont, la
vapeur luttera.
Je suis une idée en voyage
Qui se transforme en acte et
de lui se dégage.
Après m'être incarné dans
le cuir ou le plomb
J'en sors pour quelque
randonnée.
Je suis un mouvement né
d'un autre, fécond
Dans le rythme éternel des
forces alternées.
J'accours où voltige
l'espoir,
Où les dieux ont juré de
capter l'eau dansante
Et d'enchaîner la flamme au
fond des antres noirs.
Je brille et des cités s'étalent,
débordantes ;
Il rôde dans les champs de
grands trains annelés,
Les grains percent le sol,
des rocs sont descellés.
Subitement les murs fléchissent,
les fenêtres
Semblent des orbites de
morts.
On se demande avec angoisse
: Où donc est l'or ?
Je suis caché dans l'ombre,
inutile à mes maîtres.
Leur foi seule était mon
soutien,
Ils ont tremblé, je ne suis
rien
Alphonse
BEAUREGARD |